Après des mois marqués par les restrictions d’une pandémie sans fin, le Team Yosemite est reparti à l’assaut des cimes d’ici… et d’ailleurs. Célia Andematten et Jonas Citherlet, alpinistes passionnés et curieux de la vie, ont choisi le Pérou pour destination. Un mois à voyager, bivouaquer, grimper – et retrouver des saveurs oubliées. Récit d’une expédition au goût de reviens-y.
« C’est quand qu’on s’en va plus loin, plus longtemps, voir d’autres horizons ? » Cette phrase, lancée au détour d’une arête valaisanne, nous amène quelques semaines plus tard sur les hauts sommets d’Amérique du Sud. De vastes étendues sauvages, des cordillères offrants des pointes esthétiques à plus de 6’000m, la possibilité de réaliser des expéditions variant de quelques jours à deux semaines… Bref, cet environnement semble parfaitement compatible avec notre ferveur de découvrir d’autres montagnes.
Sans plus tarder, Célia dégotte avec l’aide de Luc [ndlr : Velan, shop manager chez Yosemite Vevey] des chaussures de hautes montagne chaudes et je me décide à renouveler les pantalons du Secours Alpin, usés sur les arêtes des Alpes enjambées ces derniers mois. Faute de place en soute, nous résoudrons à porter (fièrement) notre nouvel équipement dans la cabine de l’avion ! Arrivés à Huaraz tout équipés, l’excitation est telle que l’acclimatation est oubliée à mesure que nous nous enfonçons dans la vallée d’Ishinca. Le bonheur de la montagne au prix d’un mal de ventre mérité. L’aventure commence.
Le premier sommet de périple est un classique du Huascaran, déserté cette année par les alpinistes retenus par les événements sanitaires ; une aubaine à nos yeux effrayés des foules. Pentes en neige, crapahutage sur les cailloux pour s’échapper d’un brouillard péruvien et émerger aussitôt à plus de 5000m : un programme parfait pour ouvrir les festivités.
Après un brin de lessive à Huaraz, nous nous présentons au poste de Rangers du parc du Huascaran. Dès lors, de hautes falaises de granite gardent l’entrée de ce vaste terrain de jeu. Plus haut, la tente est installée dans des prairies dorées par le soleil et son reflet sur le glacier du Chopicalqui. Bien que le lieu cumule les qualités du paradis, Célia s’endort piolet à la main après avoir croisé les yeux d’un puma curieux…
Au camp moraine, l’objectif du lendemain se reflète dans la lagune à côté du Huandoy, un 6’000m qui grogne parfois pendant la nuit. La prairie a cédé sa place aux éboulis polis par le glacier. Nous cheminons ainsi dans la nuit sur un champ où poussent des crevasses béantes. Le dénivelé s’oublie à mesure que l’Artesonraju s’illumine. Cette scène, reprise par le studio Paramount, prédit une belle aventure jusqu’au sommet. Promesse tenue : le Pisco trône au milieu des grands noms péruviens enneigés. Le ciel est bleu. Les cœurs chantent l’ivresse du sommet. Que rêver de plus ? Au cours de la descente, l’atmosphère change soudainement. La seconde cordée disparaît laissant seuls trois cris descendre dans la vallée déserte. L’amorce d’un sauvetage crevasse se finit heureusement pour tout le monde au refuge avec un verre de pisco sour, et une aventure à raconter…
Pourquoi s’arrêter là ? Il reste encore quelques heures. On se met en route pour une petite lagune au pied du Chacraraju. La gouille et son eau turquoise semblent secrètement préservées aux pieds des falaises. Pourtant les couleurs du matin n’oublieront pas d’attirer des groupes d’influenceurs en manque de post. Le contraste avec les derniers jours passés seuls en montagne est sans appel. Pas grave, dirons-nous. L’objectif suivant, situé à une journée de marche de là, est un camp de base abandonné. La promesse de se retrouver loin des foules. Le programme du lendemain est peaufiné en même temps que le réchaud fait bouillir le risotto (merci Alex 😉 ) .Les étoiles veillent nombreuses ce soir-là au-dessus d’un horizon dessiné par la masse noire des sommets du Huascaran. La météo nous rappellera toutefois que la montagne aura toujours le dernier mot. Le réveil de 4hoo sonne et nos têtes se heurtent contre les 10cm de neige dure posés sur la tente. Alors que l’on rentre sur Huaraz, la face sommitale du sommet restera un fantasme pour nous.
Heureusement, les sommets sont nombreux dans les Andes et les opportunités météo s’offrent toujours à qui est prêt à les dénicher. Alors, on reprend les cartes et le carnet de topos maison qui se crée petit à petit. Le Huarapasca s’échappe de la Cordillère et évite ainsi les fronts humides venant de l’Amazonie. Après une grimpée sous la pluie au camp moraine, on se retrouve, une fois de plus, seuls au monde. Sur le glacier tourmenté, les topos lacunaires nous invitent à être nos seuls guides. L’embarras du choix de l’itinéraire ! C’est une goulotte en mixte qui nous mènera jusqu’au sommet.
Quelques sommets plus tard, on retrouve, enfin, d’autres alpinistes au camp de base de notre dernière tentative. La nuit tombant, l’odeur du curry coco-légumes inonde le camp de base à faire jaunir nos voisins malgré leurs porteurs et cuisiniers aux petits soins. La voie normale du Vallnaraju propose un itinéraire glaciaire et une arête en neige esthétique et sans difficultés particulières. Un seul objectif en tête : s’en mettre plein les yeux et plein le ventre avec le petit brunch qu’on se prévoit au sommet. On ne change pas les bonnes habitudes…
Le soleil brille une fois de plus. Après plus de vingt jours de vadrouille, il est finalement l’heure de redescendre des nuages et d’empaqueter les 60kg de matériel. En conclusion, la météo aura été changeante un mois durant, les itinéraires laconiques et les sacs lourds. La complicité d’une amitié et l’ambition « de toujours aller chercher » auront finalement eu vain des difficultés. Dans l’avion, les yeux, mi-clos de fatigue, brillent de souvenirs tout frais…
Célia Andenmatten & Jonas Citherlet, Team Yosemite